Les débuts de l’épidémie du VIH et la mobilisation communautaire
« Quand plus aucun chemin ne mène dans la bonne direction, seuls ceux qui oseront passer ailleurs pourront créer un nouveau chemin pour eux et pour ceux qui suivront. » — Pensées du désert
La Corporation Félix Hubert d’Hérelle est un organisme sans but lucratif créé en 1989 pour répondre aux besoins d’hébergement des personnes vivant avec le VIH/sida.
En effet, au début des années 80, la plupart des régions du monde se retrouvent devant un nouveau défi à surmonter pour la santé individuelle et collective: le sida (Syndrome de l’Immunodéficience Acquise). Les chercheurs et les intervenants de la santé mettent tout en œuvre pour prévenir et combattre l’épidémie causée par le VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine).
Au Québec, des groupes se sont formés, d’une part afin d’éduquer la population quant à l’importance d’adopter des comportements préventifs, et, d’autre part, pour soutenir et aider les personnes vivant avec le VIH. La tâche n’est pas mince, et l’action entreprise par ces différents organismes touche simultanément différents volets : l’information, la responsabilisation, l’entraide, la lutte contre la discrimination, l’élaboration de réseaux de prise en charge et de soutien, le logement, etc.
Souhaitant répondre à un besoin de plus en plus urgent dans la région de Montréal au niveau de l’hébergement pour les personnes vivant avec le VIH/sida, le Ministère de la Santé et des Services Sociaux, la Ville de Montréal et Centraide lancent en février 1988 un appel d’offre dans les journaux pour créer un projet-pilote de maison d’hébergement dédiée aux personnes vivant avec le VIH/sida en perte d’autonomie. Cinq groupes intéressés par la problématique présentent des projets en prévision de la création de cette ressource résidentielle.
Deux d’entre eux, le CSAM (Comité Sida Aide Montréal) et la Salamandre, sont invités à présenter un projet commun. Celui-ci est approuvé en septembre 1988 et prendra le nom de La Corporation Félix Hubert d’Hérelle. La préparation et la réalisation de ce projet sont dues à un travail d’équipe auquel ont collaboré plusieurs personnes vivant avec le VIH/sida, ainsi que des personnes et des organismes déjà engagés dans la lutte contre le sida.
La première réalisation de la Corporation est l’ouverture de la Maison d’Hérelle. Le caractère démonstratif associé à ce projet expérimental illustre une volonté de souplesse, d’adaptation et de développement de la part des partenaires dans les réponses aux besoins en hébergement des personnes atteintes. La Corporation d’Hérelle pourra ainsi devenir une source d’enseignement et de soutien dans l’ouverture d’autres ressources d’hébergement adaptées aux besoins des personnes vivant avec le VIH/sida.
La Maison d’Hérelle et les soins palliatifs
La Maison d’Hérelle ouvre en mai 1990. La résidence peut d’abord accueillir 11 personnes. Elle est située en plein cœur de Montréal, sur le Plateau Mont-Royal, un quartier à la fois urbain et paisible. L’équipe est reconnue dans le milieu communautaire pour la qualité de son accompagnement en fin de vie. Le programme de soins palliatifs intègre un accompagnement spirituel en fin de vie et des approches naturelles complémentaires à l’approche biomédicale classique.
À cette époque, la grande majorité des résidants sont admis en fin de vie. Néanmoins, un lit est réservé aux répits pour offrir un hébergement de dépannage. Ces courts séjours permettent notamment aux proches et aux familles d’éviter l’épuisement. Un programme de transition est aussi créé pour préparer les résidants qui retournent dans la communauté. En 1996, face aux besoins grandissants des personnes vivant avec le VIH/sida, la Maison s’agrandit à 17 lits.
L’arrivée des ARV et le retour à la vie active
En 1998, le programme de transition est renforcé. En effet, l’arrivée des premiers traitements antirétroviraux puis des multithérapies a permis l’amélioration de la qualité et de l’espérance de vie de nombreuses personnes vivant avec le VIH/sida et un retour à domicile devient possible pour certains.
Au début des années 2000, la multi-thérapie venait prolonger considérablement la durée de vie de nombreuses personnes vivant avec le VIH/sida. Toutefois, pour beaucoup d’entre elles, le retour à une vie active s’effectue avec les séquelles laissées par la maladie et les médicaments. On dénote alors de plus en plus souvent des pertes d’autonomie physique, et des symptômes de démence. Cette situation est encore plus précaire pour les personnes isolées socialement.
En 2001, le programme de suivi dans la communauté est créé avec la collaboration de Centraide pour assurer un soutien au domicile. La Maison d’Hérelle reconnaît ainsi l’importance du milieu de vie naturel. L’objectif est notamment de minimiser les rechutes et ainsi de réduire le nombre d’hospitalisations.
La chronicisation du VIH et l’accès à un logement adapté
Depuis déjà plusieurs années la Maison d’Hérelle se trouvait confrontée au défi du devenir de certains résidants, trop bien portants pour être acceptés en Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), mais encore trop dépendants pour habiter seuls en logement autonome bien que leur état de santé soit stabilisé.
En 2002, lors d’une rencontre de la Table de concertation des Maisons d’Hébergement communautaires VIH/sida de la région de Montréal, les membres en arrivent au constat que certains de leurs résidants et résidentes ne nécessitent plus un soutien permanent, sans toutefois être en mesure de vivre seul en logement. Néanmoins, un manque d’habitations adaptées à leurs besoins les empêche de quitter les maisons d’hébergement. Par conséquent, la liste des admissions en attente s’allonge…
La Table de concertation, voulant remédier à ce manque, souhaite que l’un des membres relève le défi de développer une nouvelle ressource d’hébergement répondant à ces besoins. Encouragée par le regroupement, la Corporation d’Hérelle relève le défi, et travaille pendant plusieurs années à développer un projet dans ce sens. En 2006, le projet des Studios est accepté par l’Office Municipal d’Habitation de Montréal.
D’autre part, face au danger que représentait l’affaissement graduel d’une partie de la façade de la Maison d’Hérelle à l’automne 2006, l’évacuation urgente de 6 résidants a due être organisée alors que leur réorientation vers d’autres ressources semblait difficile vu le manque de lieux de vie adaptés. C’est donc dans ce contexte critique qu’un projet d’Appartement Satellite a vu le jour pour inventer un hébergement convenant à ces personnes. Ceci illustre parfaitement notre philosophie : chaque situation de crise est une occasion de changement, de créativité et de croissance.
Pendant plusieurs mois, les futurs locataires se sont réunis avec le coordonnateur de l’Appartement Satellite pour concrétiser ce projet. Dans le souci d’impliquer le plus possible les personnes vivant avec le VIH/sida, ils ont décidé ensemble des règles de vie ainsi que d’être locataires signataires d’un bail, et non plus résidants, ce qui leur ouvre des droits. Le nom de « Satellite » a été retenu parce que l’appartement gravite autour de la Corporation d’Hérelle.
Le premier Appartement Satellite ouvre en février 2007. Situé dans le quartier Côte-des-Neiges, il peut accueillir jusqu’à six personnes présentant une fragilité psychosociale. Le pari de cet appartement en partie supervisé, c’est qu’à partir de ce collectif, constitué d’abord de manière artificielle, le groupe établisse un lien social d’entraide et de partage qui devienne aidant, voire thérapeutique, pour chacun. L’enjeu de notre travail est que ce lien survive à notre absence, que ce « liant » reste vivant quand nous refermons la porte de l’appartement. Face au succès de l’aventure, un deuxième Appartement Satellite situé au-dessus du premier ouvre ses portes en janvier 2011 !
En décembre 2007 a lieu l’ouverture d’une bâtisse neuve implantée dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve offrant 15 Studios privés et un salon communautaire. Ce projet est soutenu principalement par le programme Accès-Logis de la Société d’Habitation du Québec (SHQ), par le programme Initiative de Partenariats en Action Communautaire (IPAC) de Développement des Ressources Humaines Canada (DHRC) et par la Ville de Montréal. Ces logements sociaux à loyer modéré sont destinés à des personnes vulnérables à l’itinérance souhaitant bénéficier du soutien de leur groupe de pairs.
En multipliant les milieux de vie et afin de simplifier l’utilisation du nom de l’organisme, l’appellation Maison d’Hérelle est maintenant utilisée sur tous nos outils de communication.
Le VIH change, nous aussi !
Le développement de ces nouvelles ressources est à notre image ; capable d’innover dans l’urgence quand il semble ne plus y avoir d’issue tout autant que de développer studieusement un projet sur plusieurs années. Quel que soit le moyen, la Maison d’Hérelle a toujours à cœur de trouver des solutions d’hébergement et de logement adaptées au vécu quotidien des personnes vivant avec le VIH/sida.
En plus de notre programme de soutien communautaire à domicile, la diversification des lieux de vie (Maison d’hébergement, Appartements Satellites, Studios) permet maintenant d’ajuster très rapidement notre accompagnement en fonction des besoins des personnes concernées qui changent régulièrement. Cette complémentarité entre ces trois lieux de vie associée à une mobilité facilitée au sein de la Corporation d’Hérelle est un atout indéniable pour nos usagers. Qu’ils veulent être plus autonomes ou qu’ils aient besoin d’un support plus important, nous pouvons maintenant leur offrir tout un éventail de choix.
Le VIH change grâce à l’arrivée de nouveaux traitements, et à la Maison d’Hérelle nous changeons aussi pour offrir l’accompagnement le plus approprié à cette nouvelle réalité.